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Le réalisateur et journaliste signe un film coup de poing sur l’évolution du monde agricole durant ces 40 dernières années, en rappelant qu’en France, un agriculteur se suicide chaque jour.
Tout commence par un rêve de grandeur. Après son retour du Wyoming, où il a pu découvrir les pratiques agricoles américaines, Pierre (incarné par Guillaume Canet) reprend la ferme des Grands Bois. Nous sommes en 1979, le jeune homme a 25 ans, et il ne manque pas d’idées pour développer l’exploitation familiale. Pierre joue à fond le jeu de l’agriculture extensive. Il arrête l’élevage de moutons pour passer aux chèvres, agrandit ses dépendances et investit dans de nouveaux équipements.
Durant une quinzaine d’années, les choses se passent plutôt bien, même si les espoirs secrets de fortune s’envolent assez rapidement. Mais depuis quelque temps, le compte n’y est plus. Pierre a beau se tuer à la tâche, il voit les dettes s’amasser irrémédiablement. La faute à la baisse de la demande de chèvres, à la surproduction, ou encore à la mondialisation, peu importe. Le prix de vente d’une bête a régulièrement baissé depuis plusieurs années, jusqu’à flirter avec le seuil de rentabilité. Sous cette limite, Pierre perd de l’argent, malgré tous ses efforts. Une situation qui met sa famille en danger.
Un récit personnel
Au nom de la terre est un film qui sent le vécu. Et pour cause : Édouard Bergeon raconte sa propre histoire familiale dans son premier long-métrage, c’est-à-dire celle de son père qui a sincèrement cru aux promesses de l’agriculture mécanisée, de l’élevage extensif, et du recours massif aux produits phytosanitaires.
Une agriculture qui, obnubilée par la marche forcée vers des prix toujours plus bas, a fini par se détacher progressivement de ce qui fait son essence : la terre. Cette terre nourricière qui ne pèse plus bien lourd face aux exigences de rentabilité et à la loi du marché. Eleveur dans le Poitou, Christian Bergeon en a payé le prix : le père du réalisateur s’est suicidé en ingérant des pesticides, étranglé financièrement.
Une ode à la terre
Dans une mise en scène sobre et juste, qui évite volontairement les effets de style et tout recours au pathos, Édouard Bergeon décrit la lente descente aux enfers du personnage incarné par Guillaume Canet. Une atmosphère tragique, qui tranche nettement avec les images magnifiques de ces paysages agricoles aux teintes pastel, qui semblent respirer la vie. Le réalisateur ne règle pas ses comptes. Il ne fait que présenter des faits : chaque jour en moyenne, un agriculteur se donne la mort en France. Sa situation financière est pratiquement toujours la première cause du drame. Car le cas de Christian Bergeon n’est malheureusement pas unique. C’est d’ailleurs ce fléau social qu’évoque Édouard Bergeon dans un documentaire, Les Fils de la terre. Réalisé avant Au nom de la terre, il suit le quotidien d’une famille d’agriculteurs du Lot, en grandes difficultés financières. Avec les conséquences du changement climatique, mais aussi de l’appauvrissement des sols, la situation des travailleurs de la terre ne pourra s’améliorer sans un changement radical des pratiques.
Au nom de la terre, par Édouard Bergeon, avec Guillaume Canet, Veerle Baetens, Anthony Bajon, Rufus, Samir Guesmi, et Yona Kervern, 1h44